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Les groupes thérapeutiques pour auteurs de violences familiales

Fonctionnement de l’institution

Nous proposons un accompagnement spécifique des auteurs de violences conjugales et familiales par le biais d’un travail de groupe de responsabilisation. Les personnes susceptibles de participer sont majoritairement orientées par la justice, soit dans le cadre d’alternatives aux poursuites ou de contrôle judiciaire (en pré-sentenciel), soit dans le cadre de sursis avec mise à l’épreuve (en post-sentenciel). Nos partenaires médico-sociaux peuvent également nous orienter des personnes, tout comme tout individu peut effectuer une demande spontanée. Nous parlerons majoritairement des hommes tout au long de notre propos, puisqu’à l’heure actuelle, c’est la grande majorité des personnes que nous rencontrons dans ce cadre. Nous recevons également des femmes auteurs de violences conjugales et familiales, or, elles ne sont pas assez nombreuses pour la constitution d’un groupe. Nous avons fait l’expérience de groupes mixtes (hommes/femmes), mais cela ne s’est pas avéré concluant. 

Les auteurs prennent contact avec l’association Le Cheval Bleu pour au moins deux entretiens individuels de pré-admission au groupe. Lorsqu’il s’agit de personnes ayant déjà été jugées et condamnés à un sursis avec mise à l’épreuve, les conseillers d’insertion et de probation, en lien avec les juges de l’application des peines, peuvent orienter les personnes qu’ils suivent vers les groupes thérapeutiques pour auteurs de violence intrafamiliales du Cheval Bleu. Pour les personnes en contrôle judiciaire ou en alternative aux poursuites judiciaires, c’est l’association de contrôle judiciaire, en lien avec le JLD ou le Procureur, qui orientent. Pour les personnes incarcérées, c’est le CPIP qui oriente, le Cheval Bleu est mentionné aux arrivants et le bouche à oreille fonctionne également au sein de la prison. Il s’agit alors pour eux de faire respecter l’obligation ou l’injonction de soins qui a été prononcée envers les auteurs de violences intrafamiliales, en milieu ouvert.

L’articulation du thérapeutique avec la justice est un projet commun ; il s’agit, au sein du groupe de responsabilisation, de passer d’une injonction de soin à une amorce de demande chez le sujet, qui devient alors patient. Effectivement, il nous faut faire face à une situation particulière. En effet, les personnes que nous recevons sont majoritairement orientées par la justice, que ce soit avant ou après un jugement. Les personnes ne sont pas dans une démarche de demande directe de soins. Il nous faut alors considérer que c’est le passage à l’acte transgressif qui constitue l’expression d’une souffrance et donc d’une éventuelle demande d’aide. 

Selon Broué et Gévremont, « la demande d’aide est paradoxale, puisqu’il s’agit d’une aide contrainte.  En effet, c’est un tiers qui enjoint l’individu à participer à une psychothérapie de groupe pour conjoints violents et lui rappelle que son cheminement sera pris en considération. Il est ainsi demandé à l’individu de changer ses comportements, attitudes et croyances à l’égard de la violence conjugale et familiale. Par conséquent, les “référents” font une demande au conjoint violent qui pourrait curieusement se formuler : nous voulons que vous vouliez changer. Les “référents” font aussi une demande du même type aux psychothérapeutes : nous voulons que le conjoint violent change et que vous vouliez l’aider à résoudre le problème que nous affirmons qu’il a » [2].

L’enjeu de la demande consiste donc, préalablement, à favoriser une réappropriation de la demande d’aide et de changement par l’auteur de violences.

Nous disposons d’un dossier informatique partagé, réalisant un réseau d’échange d’informations avec nos partenaires sur la situation et l’évolution d’un participant au groupe, en accord avec celui-ci : le contenu de ce qui peut être évoqué reste évidemment de l’ordre du secret professionnel. Nous transmettons à nos partenaires, notamment aux professionnels de la justice des informations de fonctionnement et non de contenu, c’est-à-dire que nous leur disons si les personnes sont venues aux entretiens préliminaires, s’ils se sont engagés dans un groupe ou non et à la fin de la session, nous envoyons un bilan comprenant uniquement la motivation, le respect des règles constituant le cadre du groupe et l’implication dans le processus. En aucun cas, nous ne donnons des informations relatives à ce que les personnes ont pu évoquer lors des entretiens ni lors des séances de groupe. Nous nous engageons évidemment à signaler toute révélation du fait qu’une personne puisse être mise en danger si nous en sommes informés lors d’une séance.

Les entretiens de préadmission

Chaque personne est vue à au moins deux entretiens de pré-admission au groupe. Il s’agit pour nous de faire connaissance avec leur histoire familiale et leur vécu de violence. Lors de ces entretiens, nous nous focalisons sur le récit de la scène de violence et sur la souffrance qu’elle a pu engendrer chez eux ainsi que chez les victimes. Nous essayons aussi de faire l’état des lieux de leur cellule familiale et du moment où ils se sont trouvés en contact avec la violence pour la première fois. Nous mentionnons sur la confidentialité de ce qui se dit lors des entretiens malgré l'arrière-plan judiciaire qui motive la rencontre.

Ces entretiens ont aussi une visée évaluative. Nous prenons le temps de vérifier que nous avons à faire à des personnes qui pourront faire face à la situation de groupe. Nous essayons de repérer si les personnes que nous rencontrons ne présentent pas de pathologies mentales qui pourraient empêcher le travail de groupe comme des traits paranoïaques trop prononcés, des traits pervers ou encore une trop grande déficience intellectuelle qui ne permettrait pas la compréhension de ce qui pourrait être abordé au sein du groupe.

Nous évaluons aussi la motivation des personnes à entrer dans le dispositif de soin que nous leur proposons lors du deuxième ou du troisième entretien. Il s’agit ici de repérer ce que les personnes souhaitent changer dans leur mode relationnel.

Ce travail de responsabilisation est aussi et surtout possible parce que nous travaillons avec le système judiciaire. Le cadre de notre action vient s’adosser au cadre judiciaire. C’est parce que les hommes violents sont obligés ou fortement conseillés de se rendre au Cheval Bleu sous peine d’autres contraintes ou d’emprisonnement, que le travail de responsabilisation est possible.

Généralement, le problème pour les auteurs de violences conjugales et familiales est qu’il ne leur appartient pas, il est perçu à l’extérieur d’eux-mêmes. Même si la plainte, la garde à vue, l’éloignement du domicile et les comptes à rendre à la Justice viennent pointer la source du problème. Certains le comprennent rapidement et se repositionnent sans en devoir forcer le mécanisme. D’autres revendiquent leur bon droit, malgré ces différents protocoles d’arrestation. Pour ceux-là, le cadre de notre proposition de soin n’est pas suffisant. La « carotte » (davantage de RPS, ou non révocation du sursis) que leur propose la Justice vient, dans un premier temps, faire office de « motivation ».

Nous ne prenons en charge que les personnes émettant un souhait de changement de fonctionnement, aussi minime soit-il. C’est la condition pour pouvoir intégrer le groupe de responsabilisation. La personne qui évoque son refus de réflexion au sein d’un groupe dans notre bureau, devra l’argumenter dans le bureau de son contrôleur judiciaire qui en réfère au JLD, au Procureur ou au JAP.

Le patient est pris dans une double contrainte : la première est celle de la Justice « tu dois aller réfléchir avec le Cheval Bleu pour tes actes de violences conjugales et familiales ou tu en paieras le prix », la deuxième est celle du Cheval Bleu « tu ne peux pas accéder au groupe uniquement par obligation, il te faut un objectif de changement, aussi minimal soit-il ». Cette place inconfortable pour le patient va venir forcer la prise de position et va venir amorcer la remise en question. 

Le cadre de la justice viendrait baliser le cadre des groupes où l’intervention judiciaire serait un tremplin pour l’intervention thérapeutique, où la demande s’en verrait portée par un tiers.

Pendant ces entretiens individuels de préadmission, nous mettons également l’accent sur la situation de groupe à laquelle ils vont être confrontés pour diminuer la peur de l’inconnu qu’ils peuvent ressentir. Nous nous appuyons sur un contrat dans lequel le cadre de travail est clairement précisé, notamment en ce qui concerne la confidentialité, les échanges avec la Justice, le non-jugement des propos tenus et le respect des autres. Ce contrat les engage à respecter les règles du groupe et à participer à 21 séances minimum de groupe.

Il y a trois issues possibles à l’issue de ces entretiens. La première est celle où Le Cheval Bleu et l’auteur de violences conjugales et familiales sont d’accord pour travailler ensemble au sein d’un groupe. La seconde, est celle où le Cheval Bleu refuse l’admission de la personne au sein groupe pour les raisons suivantes : l’auteur peut présenter une pathologie mentale trop envahissante au travail de groupe ou une pathologie mentale non stabilisée, l’auteur peut présenter une déficience intellectuelle trop importante à la compréhension de ce qui se dit dans le groupe ou l’auteur a l’impossibilité technique de participer au groupe (horaires de travail aux horaires de groupe). La troisième est celle où l’auteur refuse de participer au groupe de responsabilisation, les raisons étant variables.

Les groupes

Les groupes sont dits ouverts, c’est-à-dire qu’il y a des entrées et des sorties régulières de participants. Lors de l’arrivée d’un nouveau participant, les autres membres du groupe n’en sont pas tous au même nombre de séances. Cela permet que les plus « anciens » puissent accueillir au mieux les « nouveaux » en leur expliquant comment s’est passé leur première séance, dans quel état de stress ou de peur ils pouvaient être juste avant. Ils peuvent aussi dire après combien de temps ils ont pu se sentir à l’aise et en confiance dans le groupe. Ils expliquent enfin ce que leur venue au groupe chaque semaine a pu leur apporter jusque-là.

Il est important pour nous de mixer les groupes. Nous recevons au sein d’un même groupe des personnes en demande spontanée, des personnes en alternative aux poursuites judiciaires, en contrôle judiciaire, des personnes condamnées ou des sortants de prison. On pourrait imaginer que le groupe est constitué de personnes plus ou moins violentes avec des plus petites violences ou de plus grosses violences.

Cependant, nous considérons la violence comme un processus. Les violences vont généralement crescendo au niveau de leur intensité dans le temps. Nous avons donc dans les groupes des personnes qui ont « simplement » donné une gifle à leur conjointe qui se trouvent confrontées à des personnes sortant de prison pour des violences beaucoup plus fortes et récurrentes. Ce qui devient intéressant est que la personne « la plus violente » dira à la personne la « moins violente », « Pour moi aussi, ça a commencé comme ça, par une gifle ».

C’est de ce point de vue qu’il est important selon nous, de donner accès aux groupes de responsabilisation dès les prémisses de ce processus afin de mettre toutes les chances du côté de l’auteur et de sa victime pour mettre un point d’arrêt aux interactions violentes.

Statistiquement, nous nous sommes rendus compte que l’auteur et sa victime se remettent en couple dans 60% des cas après la violence, l’interdiction de rentrer en contact étant prononcée ou pas. Ce constat va de pair avec la mise en place du processus violent au sein du couple et un éventuel risque de récidive. 

Le fait que les groupes soient ouverts, c’est-à-dire qu’il y ait des entrées et des sorties régulières permet que les anciens puissent insuffler une dynamique de verbalisation et que les nouveaux participants se sentent plus rapidement acteur de leur demande d’aide. Cela favorise aussi le travail d’élaboration chez les nouveaux arrivants ; les anciens agissant en quelque sorte comme locomotive au sein du groupe.

Inspiré par l’expérience d’Option, une association canadienne qui assure la prise en charge en groupe des auteurs de violences intrafamiliales depuis plus de 40 ans, chaque session se déroule invariablement sur 21 séances hebdomadaires par participant. La prise en charge dure environ six à huit mois pour chaque participant. Nous nous sommes aperçus qu’il s’agit là du temps nécessaire pour que la demande puisse être formalisée et que les personnes se l’approprient. Il s’agit pour nous que les personnes deviennent sujets de leur démarche et qu’ils puissent poursuivre leur réflexion après leur passage dans le groupe. Nous avons remarqué aussi que ce temps est nécessaire pour que le processus de responsabilisation se mette en place. Nous entendons par là que les individus puissent se sentir responsables de ce qu’ils peuvent ressentir et agir dans leur quotidien.

Le groupe de responsabilisation est désigné, par la majorité des bénéficiaires, comme le premier lieu dans lequel la souffrance peut être entendue. La violence est désignée comme symptomatique et devient ainsi le point de départ de la reconnaissance d’un trouble. Trouvant un lieu d’écoute dans ce cadre institutionnel particulier, les auteurs de violences intrafamiliales semblent davantage prêts à rompre leur isolement et à porter une demande de soutien.

En effet, la plupart des participants décrivent leur sphère familiale comme particulièrement isolée, sans aucune intervention d’une tierce personne susceptible de médiatiser les conflits. L’intervention des forces de l’ordre puis de l’appareil judiciaire venant alors rompre cet isolement peut être le point de départ d’un travail de réflexion et d’élaboration.

Le cadre particulier que suppose la dynamique de groupe, notamment le respect de la parole des autres peut être une difficulté à l’entrée en groupe. Cette même difficulté, selon leurs dires, serait vécue dans le milieu familial : ne pas se sentir écouté et ne pas écouter les autres. L’expérience du groupe semble faire traitement chez la plupart des participants qui se réapproprient son cadre.

La majorité des participants affirment poursuivre le processus de verbalisation engagé dans le groupe auprès des membres de leur famille (notamment au parloir pour ceux qui sont incarcérés). L’amélioration des échanges verbaux au sein de la sphère familiale est désignée comme un élément majeur dans la diminution des conflits. En passer par le verbe éviterait d’en passer par l’acte.

En d’autres termes, le travail de groupe et le cadre qu’il suppose permettent dans une certaine mesure de restaurer l’empathie chez ces personnes. Cela permet donc d’introduire l’autre dans leur imaginaire et de pouvoir prendre en considération, par ailleurs, son existence en tant que sujet à part entière et de l’effet du comportement de l’auteur sur la victime. Nous les invitons d’ailleurs lors des séances de groupe à essayer de se mettre à la place des autres participants ainsi que des victimes directes et indirectes des actes de violence qu’ils ont commis.

Le cadre du groupe permet aussi une diminution du sentiment d’isolement dans le fait d’avoir été un jour auteur de violences intrafamiliales. Il apparaît aussi que le sentiment d’être jugé est amoindri du fait que tous les participants se reconnaissent en tant qu’auteurs de violences intrafamiliales et facilite donc le travail de dévoilement et de responsabilité de ses actes violents. Ce qui permet une libération de la parole et un travail thérapeutique plus efficient.

De plus, ce cadre particulier permet que les personnes parlent moins que s’ils étaient en consultation individuelle. Cela implique moins de pression relationnelle et la possibilité de parler et d’élaborer par procuration. Il devient aussi possible d’envisager des réflexions amenées par les autres auxquelles certaines personnes n’auraient pas pensé seules.